BIOGRAPHIE
En un demi-siècle (1952-2OO2) le Bagad de Lann-Bihoué
et ses trente sonneurs ont construit leur légende. Ces fils du
vent et de la mer parcourent, aujourd'hui, la planète en soufflant
dans leurs cornemuses et leurs bombardes tandis que leurs tambours rythment
des airs qui n'ont rien de guerrier.Le Bagad défile, en effet,
aux accents de la Marche Fest Ar Bragou Bihan, de celle du Pays de Retz
ou encore sur des suites de pipe-band empruntées aux Higlanders
d'Ecosse qu'il a cependant mitonnées à sa façon.
Car il existe un style Lann-Bihoué alliant la fraîcheur
et l'invention à l'audace. Un style qui vous remue les sangs
et vous donne le frisson.Le poète breton, Armand Robin, l'homme
qui parlait, écrivait et connaissait les sonorités de
vingt huit langues ne s'y trompait pas non plus quand il glorifiait
le vieux biniou des marins et des paysans de son pays, ce "Coeur éclaté
du peuple / Granit dynamité, brisé / Encore un instant
résistant / Pour lui le dernier instant.
Musique minérale, venue du fond des âges
qui trouve, maintenant, sa plénitude dans la sincérité
de ses interprêtes et dans leurs qualités techniques.Le
grand mérite des trente sonneurs et batteurs de Lann-Bihoué
s'inscrit dans la continuité et le respect de ce patrimoine et
dans celui de la Marine qu'elle fût Royale jadis ou Républicaine
désormais.
Notre Bagad de la Marine Nationale est pourtant né
du hasard et non de la nécessité. Tout commence en 1952,
fin août, au poste des Maîtres de Lann-Bihoué, à
l'heure de l'apéritif... Le Maître-Principal Pierre Roumegou
aperçoit, sortant de la poche d'un visiteur, une bombarde. Il
n'en a pas joué depuis 1924 ! Il la porte à ses lèvres.
La bombarde est neuve, réticente donc. Il faut la courtiser,
l'apprivoiser... En quelques minutes, Roumegou la séduit. La
mélodie s'envole alors légère, aérienne
malgré une certaine maladresse. Les officiers mariniers, qui
ont pour la plupart commencé à dîner, quittent aussitôt
leur table, se prennent par le petit doigt et dansent ! "Quelle rigolade,
ce soir-là", s'étonne le Maître-Principal. Il ne
sait pas encore qu'il vient de porter sur les fonds baptismaux le bagad
de Lann-Bihoué. Car peu à peu, cornemuseux et talabarder
entrent dans ce petit cercle de la famille celtique. En quelques jours
ils se comptent quatorze. Des amoureux de la musique bretonne. Des matelots
qui, pour la plupart, jouent dans des formations civiles. Malgré
les nombreuses difficultés, nul ne se décourage. Le bagad
apprend un peu plus chaque jour. Il sait maintenant jouer au pas et
dessiner quelques timides arabesques aux accents de la marche de Landaul.
Il est prêt? Enfin presque prêt à offrir sa première
aubade. Et celle-là, il la doit à la Marine Nationale
qui l'a porté sur les fonds baptismaux.. Quelle émotion
quand le Maître-Principal Delcuze envoie le fameux "Waraok kit".
En avant marche ! Ce jour-là, le Bagad de Lann-Bihoué
ignore encore qu'il part à la conquête du monde.Les Pompons
rouges sont alors de toutes les fêtes. En 1957, le Bagad embarque
sur le porte-avions "Bois-Belleau" et direction New-York après
escale à Casablanca et à Fort-de-France. Pendant un mois,
les marins bretons vont séduire les Américains et la forte
colonie irlandaise. Deux ans plus tard, ils jouent à Orléans
devant le général De Gaulle.
Pierre Roumegou est un Penn-Bagad heureux. Son carnet
de rendez-vous est plein chaque année. Peu à peu, toutefois,
l'enthousiasme des pionniers retombe. Le recrutement des musiciens,
qui ne se fait qu'à l'intérieur de la base aéronavale,
est de plus en plus difficile à assurer.La Marine décide
en 1962 d'élargir son recrutement aux appelés du Contingent.
Fine mouche, elle confie cette tâche à son conseil Polig
Montjarret Président de Bodadeg Ar Sonerion (l'Assemblée
des Sonneurs de Bretagne), à charge pour lui de proposer les
meilleurs sonneurs bretons en âge d'accomplir leur service militaire.Pour
Pierre Roumegou, l'âge de la retraite a sonné. Il a connu
tous les honneurs, visité les pays nordiques, sillonné
la France et même joué salle Pleyel à Paris ! Sous
ses douze années de règne le Bagad a grandi. Désormais,
il passe la main au Maître Contrôleur Faure.
Etonnant bonhomme que ce Marcel Faure. Un homme venu
de l'Est. Pas une goutte de sang breton dans les veines. Un amour pour
la musique bretonne.
Il composera d'ailleurs quelques airs qui sont inscrits au patrimoine
du Bagad. Ce fin psychologue reste onze ans à la tête de
Lann-Bihoué. C'est surtout avec lui que le Bagad commence vraiment
à courir le monde et à embarquer pour des terres lointaines.
Dans son carnet de voyage, il est toutefois un déplacement
qu'il n'a jamais oublié. C'est celui qui le conduit, lui et ses
sonneurs, au Québec en 1967 à bord du "Colbert" où
il a la joie d'accueillir le général De Gaulle. Le Québec
rêve d'indépendance. De Gaulle lance alors son fameux :
"Vive le Québec libre !" que personne n'a oublié.Pourtant,
les nuages s'amoncellent sur la tête du Bagad et celle du Maître
Faure. L'Amiral Patou décide la dissolution du Bagad. Les Bretons,
bagadou en tête, montent à l'abordage du gouvernement Debré.
"Touche pas à mon Bagad !" Ministres, sénateurs, députés,
sans se soucier de leur étiquette politique plaident pour le
maintien du Bagad. Nul ne manque à l'appel.
Le bagad est sauvé. La Bretagne respire. Les pompons rouges font
toujours recette. Ils sont aimés. Trop peut-être.
En vingt ans, la France a le cœur bleu marine.
Pas la moindre fête de village qui ne désire présenter
le Bagad de Lann-Bihoué. Les maires n'hésitent pas à
cogner aux portes des députés, lesquels, à leur
tour, frappent à celles du Ministre des Armées ! On quête
un passe-droit pour la bonne cause. On demande au destin ce petit coup
de pouce pour que la fête soit complète.
Cornemuses, bombardes, tambours sont devenus les symboles de la réussite
d'une fête populaire.